Jean-Claude Mourlevat

Lauréat du prix Astrid-Lindgren 2021

Originaire de Job, Jean-Claude MOURLEVAT est écrivain. En 2020, il est sélectionné pour la dixième année d’affilée (depuis 2011) pour le prestigieux prix international suédois, le Prix commémoratif Astrid-Lindgren, dont il est le lauréat en 2021 et le premier Français à le remporter. En 2009, le Journal du Parc Livradois-Forez lui consacrait un portrait

Par Michel C.Thomas.
Portrait paru dans le Journal du Parc n°17 en été 2009


A Saint-Petersbourg, l’appartement où vivait Dostoïevski a été reconverti en musée. Les gardiennes sont très vigilantes, et même un brin revêches. Si vous approchez de trop près le manuscrit des Frères Karamazov posé sur le bureau ou le chapeau conservé sous une cloche de verre, vous vous exposez à coup sûr à de très fermes remontrances. Jean-Claude Mourlevat, lui, a eu le privilège de s’asseoir dans le fauteuil de l’écrivain.

Je dis ce que j’ai à dire

Jean-Claude Mourlevat est un privilégié, on le pressent dès qu’il évoque les années d’enfance au Moulin de la Cour, commune de Job1. On en a confirmation lorsqu’il convoque la Tantine. “Eugénie Béal, cousine de mon père et qu’on appelait la Tantine, était institutrice à Clermont. C’est elle qui a créé le manuel Rémi et Colette dans lequel des générations ont appris à lire. Elle nous apportait un peu de la civilisation. Elle nous a offert notre premier tourne-disques… J’entends encore Fernandel qui disait Les Lettres de mon moulin.” Il y a aussi le grand-père maternel qui a raconté à Henri Pourrat l’histoire du paysan qui a trouvé un miroir en labourant et dont la femme était “laide comme sept culs”. Pourrat l’a engrangée dans son Trésor.

“Au cirage”

Les privilèges n’ont qu’un temps, le bonheur aussi. L’heure sonne de l’entrée en sixième au Lycée Blaise Pascal, à Ambert. “J’avais dix ans, je n’étais pas prêt pour l’internat.” Jean-Claude Mourlevat a raconté cette année-là (c’est le titre d’une chanson de Claude François, et c’est la même année) dans un récit triste et drôle en même temps, léger et émouvant. Le livre, paru aux éditions Arléa, s’intitule Je voudrais rentrer à la maison. C’est tout dire. Tous les internes, ses “classards” au moins, s’y reconnaîtront : la toilette vite expédiée parce que l’eau est décidément trop froide ; le singe (autrement dénommé corned- beef) et les oeufs durs sauce Aurore qui reviennent chaque semaine ; l’angoisse nocturne des bleus – “On te l’a déjà passée au cirage ?” – ; la gifle, imméritée, reçue du proviseur ; la prof chahutée et celle dont on a aperçu un peu de lingerie sous une jupe stricte ; la fillette, assise dans le car, à laquelle un fanfaron intime de “baisser le capot parce qu’on voit le moteur” ; le surgé qui tire les cheveux au ras de l’oreille, là où ça fait le plus mal… “Ce n’était pas l’enfer, mais la souffrance d’un enfant ne se mesure pas. Cette année m’est restée en travers de la gorge, en faire le récit n’en a pas apaisé la tristesse.” Il redouble et s’acclimate, ou presque. Il patiente en devenant bon élève. Après le bac, l’adolescent a besoin d’air, il veut voir le monde. Il poursuit ses études à Strasbourg, Toulouse, Stuttgart, Bonn et Paris. Il traverse l’Atlantique et arpente, sac au dos, les trois Amériques. Il voyage en Inde, destination obligée de l’époque. Il dit qu’il est resté “clean” ; on comprend qu’il n’a pas fumé de cette herbe qui fait voir des créatures psychédéliques. Reçu au CAPES d’allemand, il enseigne à La Bourboule, à Hambourg et en Normandie, tout en continuant de bourlinguer. En 1987, il quitte l’Education nationale pour faire le clown… “La formule est un peu cavalière. En fait, je faisais déjà du théâtre dans les établissements où j’enseignais et, en 1987 en effet, j’ai pris une année de disponibilité et je me suis inscrit à L’Ecole des Bouffons, à Paris. Une école de théâtre très sérieuse où j’ai beaucoup appris et où j’ai découvert que c’était le jeu clownesque qui m’attirait.” Il invente un personnage, Anatole, il monte sur scène, seul, avec un chapeau, un nez rouge, “mais sans trop d’outrance dans le personnage”. Il donne au moins 600 représentations “dans de beaux théâtres et plus souvent dans des salles des fêtes pas toujours adaptées”. Le public est conquis à chaque fois et l’enseignant devient intermittent du spectacle. Clown, donc…“Mais pour faire rire, il faut aller chercher des choses en soi, laisser affleurer ses faiblesses. C’est plus profond qu’on ne croit.”

En Afrique

Sans faiblir, l’intermittent s’installe sur le versant Est des Monts du Forez, s’occupe de mise en scène avec la compagnie Metafor, domiciliée à Montbrison. Et il crée un autre personnage, Guedoulde, sur l’air de Parlez-moi d’amour, c’est le titre du spectacle. Anatole était très bavard, Guedoulde est muet. Ça aide pour l’exportation. Guedoulde emmène son créateur, flanqué désormais d’un régisseur, en Afrique, en Inde, au Pakistan, Indonésie, Sri-Lanka ou Bangladesh. Le saltimbanque ne faiblit pas, mais il fatigue un peu. “Le spectacle était très physique, je perdais deux kilos à chaque représentation, trois en Inde où il faisait très chaud. Et j’ai commencé à avoir des problèmes de dos.” Alors, il commence à entendre ce que ses amis lui répètent souvent : “Tu devrais écrire.” L’injonction s’entend au sens intransitif. Il s’y met, il s’y tient, il va vite. Il publie son premier livre, chez Mango, en 1997, L’Histoire de l’enfant et de l’oeuf, puis un premier roman, La Balafre, puis un autre, en 2000, L’Enfant Océan, les deux chez Pocket Jeunesse. “Avec L’Enfant Océan, tout a basculé, j’ai su que je pourrais en vivre. Les enseignants se sont emparés de ce livre, il est étudié en classe, recommandé par des manuels scolaires.” Il est dans la “littérature jeunesse”2, il ne le vit en rien comme une contrainte. “Je pense au lecteur bien sûr, j’évite les références trop codées, mais je ne me bride pas, je dis ce que j’ai à dire. On est tenu à la sincérité, quand un enfant vous pose une question il n’y a pas de contournement possible.” Ses lecteurs, il les rencontre souvent – “J’adore ça” – et ils lui en posent des questions, dont celle-ci : “Où allez-vous chercher tout ça ?” Il répond sans contournement, autant que possible, si on savait d’où elles viennent les histoires… La Balafre vient peut-être de la photo d’une jeune fille juive que ses grands-parents avaient cachée pendant la guerre. L’Enfant Océan commence avec une histoire vraie de cartable jeté dans un puits et après elle chemine en compagnie du Petit Poucet de Charles Perrault. Pour La Rivière à l’envers, “les chapitres dégringolaient en moi en veux-tu en voilà, ma main n’allait pas assez vite”. Cornebique est né grâce à un orage qui a forcé l’auteur, en virée à vélo, à s’abriter, grâce aussi aux ballades de Woody Guthrie. A fond dans le romanesque Pour Le Combat d’hiver3, on croit savoir… Aux premières pages, on est dans une salle d’étude, les élèves s’ennuient, ce pourrait être une salle du lycée Blaise Pascal. Mais Helen Dormann s’ennuie tellement qu’elle demande à aller voir sa “consoleuse”. Etrange. On rencontre bientôt les consoleuses, puis des “hommes-chiens” et le “peuple-cheval”. L’étrange fait son chemin et dérange ce que l’on croyait savoir. Le sujet est grave, politique même, et le récit toujours palpitant. Anna Gavalda a eu ce commentaire à propos du Combat d’hiver : “Écriture superbe d’un auteur qui aime ses lecteurs. Qui les aime, les respecte et les honore.” Il honore tout aussi bien les lecteurs qui ne peuvent plus prétendre à la catégorie “jeunesse”. De son dernier ouvrage, Le Chagrin du roi mort, qui vient juste de paraître, Jean-Claude Mourlevat dit simplement : “Je suis allé à fond dans le romanesque, sans me retenir.” L’Enfant Océan a dépassé les 800 000 exemplaires, Le Combat d’hiver est traduit en douze langues. Pourtant Jean-Claude Mourlevat avoue qu’il hésite encore à répondre “écrivain” quand on lui demande son métier. Mais c’est bien à ce titre qu’il a pu s’asseoir dans le fauteuil de Dostoïevski. “J’étais invité par le Centre culturel français de Saint-Petersbourg. Après une séance de lecture, la directrice m’a convié à visiter le musée et…à m’asseoir.” C’est bien à titre de confrère, non ?

  1. Alain Mourlevat, frère aîné de Jean-Claude, raconte les années 50 au Moulin de la Cour dans un savoureux récit, Meunier tu dors…, qui commence par un vibrant éloge du sabot. Aux éditions de la Montmarie.
  2. Et entre temps il est passé chez Gallimard Jeunesse où sont publiés ses ouvrages récents.
  3. Le Combat d’hiver a été lauréat du Livre élu en Livradois- Forez, entre autres distinctions.

Portrait Mourlevat 2009 (PDF – 250 Ko)